Le 27 Nov 2020

Ne pas y aller avec le dos de la main morte, être au bord du rouleau : 5 expressions télescopées

 

La langue française regorge d’expressions populaires très imagées. Non seulement certaines sont construites de la même manière, ou comportent un mot en commun, mais leurs significations peuvent également être similaires.

Voilà pourquoi notre langue peut fourcher au point de mélanger les deux expressions et en créer une troisième, qui n’a guère de sens, mais prête à sourire… et à réfléchir !

Voyons un peu le sens des expressions originelles.

 

  • Ne pas y aller avec le dos de la main morte

Ne pas y aller de main morte + Ne pas y aller avec le dos de la cuillère

L’expression « Ne pas y aller de main morte » date du XVIIe siècle. À l’époque, elle signifiait « attaquer avec violence », « frapper rudement ». Pour ce faire, il valait mieux avoir une main vigoureuse ! Désormais, cette expression signifie « exagérer, y aller fort ».

Rien d’étonnant à ce que l’on la confonde avec « Ne pas y aller avec le dos de la cuillère », qui signifie exactement la même chose : « parler, agir sans ménagement, y aller fort, exagérer ». En effet, il est difficile de manger sa soupe avec le dos de sa cuillère.

« Le dos d’une main morte », lui, aura un effet somme toute limité…

 

  • Être au bord du rouleau

Être au bout du rouleau + Être au bord du gouffre

La locution familière « être au bout du rouleau » est révolutionnaire ! En effet, Le Petit Robert l’atteste en 1789, sous la forme « être au bout de son rouleau ». Reste à savoir de quel rouleau il s’agissait, probablement pas celui d’essuie-tout auquel on pense aussitôt aujourd’hui…

Bien heureusement, la définition originale « n’avoir plus rien à dire » nous éclaire. Il était question du rouleau de parchemin. Quand on arrivait au bout du rouleau, c’est qu’on avait fini de lire, de parler. Par la suite, on a rangé des pièces de monnaie dans de petits rouleaux de papier. « Être au bout du rouleau » signifiait alors qu’on n’avait plus d’argent, de ressources pécuniaires. Désormais, l’expression fait référence aux ressources physiques et morales. « Être au bout du rouleau », c’est n’avoir plus d’énergie, être épuisé, et même à la fin de sa vie (« au bout de sa vie », comme disent les jeunes !).

Et « Être au bord du gouffre », alors ? Dans un sens, l’expression peut rejoindre « être au bout du rouleau » car elle signifie, d’après Larousse, « être près de la ruine, de la catastrophe. » Mais l’idée de danger, de péril n’y est pas évidente.

Difficile de savoir si le « bord du rouleau » est tout aussi dangereux, personne n’a jamais eu l’occasion de vérifier. À moins qu’il ne s’agisse d’un rouleau compresseur !

 

  • Chacun voit midi à quatorze heures

Chacun voit midi à sa porte + Chercher midi à quatorze heures

« Chacun voit midi à sa porte » signifie que chacun envisage les choses de son propre point de vue. Mais quelle est l’origine littérale de cette expression ? Le mot midi symboliserait « le milieu de la journée », par extension, « le cœur d’une situation », et sa porte symbolise « sa propre maison », c’est-à-dire « ses intérêts personnels ».

« Chercher midi à quatorze heures » a un sens bien différent : « chercher des difficultés où il n’y en a pas, compliquer les choses ». Pourquoi « midi » et « quatorze heures » ? Si midi a une position très repérable sur l’horloge, difficile de justifier le choix de quatorze heures, d’autant que l’on disait « chercher midi à onze heures » précédemment ! Peu importe : on cherche une chose à un endroit où elle ne peut pas être, c’est l’idée à retenir.

Dans les deux cas, la discussion risque de ne pas être facile. Si chacun voit midi à quatorze heures, c’est qu’il y a au moins un point d’entente…

 

  • Tu me tires une fière chandelle du pied

Tu m’enlèves une épine du pied + Tu me dois une fière chandelle

À l’origine de ce télescopage d’expressions : « tirer une épine du pied de quelqu’un », c’est-à-dire « le délivrer d’un sujet de contrariété, d’une difficulté » et « devoir une fière chandelle à quelqu’un », autrement dit « lui devoir une grande reconnaissance ». Pas de lien sémantique direct entre les deux expressions, mais une dimension positive, évoquant l’entraide et la gratitude dans les deux cas.

Pour « tirer une épine du pied », le sens est évident, on devine l’agrément que l’on peut en … tirer. Mais cette « fière chandelle » que l’on « doit », quelle est-elle ? D’après Larousse, on disait que celui qui avait échappé à un grand danger qu’il devait une belle (plus tard fière) chandelle à Dieu pour dire qu’il lui devait un grand remerciement. Ainsi, les chandelles que l’on doit à quelqu’un sont les cierges qu’il faudrait allumer pour le remercier.

 

  • L’argent ne fait pas le moine

L’argent ne fait pas le bonheur + L’habit ne fait pas le moine

Certes, l’argent ne fait le moine, d’autant qu’un moine est censé ne pas être focalisé sur les considérations bassement financières ! Mais que veulent exprimer les personnes en flagrant délit de télescopage ? Pour tenter de le savoir, revenons aux expressions mères.

Pour « l’argent ne fait pas le bonheur », il n’y a guère d’explication à donner.

Quant à l’expression « l’habit ne fait pas le moine », elle serait issue soit de la locution latine barba non facit philisophum, c’est-à-dire « la barbe ne fait pas le philosophe », soit de François Grimaldi et ses compagnons d’armes qui, en 1297, se déguisèrent en moines franciscaines pour s’emparer d’une forteresse bâtie sur un rocher : la future principauté de Monaco ! Ou tout simplement, est-ce une manière ironique de considérer les moines de l’époque, dont le comportement et les mœurs semblaient, parfois, bien éloignés des préceptes qu’ils étaient censés… porter.

Un autre télescopage pourrait être « l’habit ne fait pas le bonheur », alors que la liberté vestimentaire est au cœur de l’actualité.

 

Pour découvrir notre formation de Remise à niveau en grammaire et en orthographe, c’est par ici :

Programme de remise à niveau en grammaire et en orthographe

Laisser un commentaire